La Force - Arcane XI du Tarot de Marseille

Dans la culture hermétique, les initiés ont toujours comparé les propriétés de la substance spirituelle précédant la matière à celle d’un océan, parce que son eau remplit le “vide” (« vidia » se traduit par « la connaissance » en sanskrit) comme le ferait l’eau dans n’importe quel récipient. Cet océan fait écho à la mer cosmique d’énergie noire à laquelle David Böhm faisait allusion. Puisque l’homophone de « mer » : « mère », vient de « mater » en latin, nous pouvons tisser des liens sémantiques intéressants entre « mère », « mer », « mercure » (avatar d’Hermès-Trismégiste chez les Latins), « matière », « matrice » et « Marie » (« Marie » est l’anagramme de « aimer »).

 

Si cette matrice invisible est à l’origine de toute manifestation, l’assomption qu’elle soit vierge coule de source et l´emblème de la vierge noire (le noir, en opposition à la synthèse des 6 couleurs du spectre visible, exprime l’absence de lumière), comme celui de la vierge Marie devient alors plus explicite sous l’angle de la théosophie, puisque la Sainte-Vierge, la reine mère, la mer divine, est la figuration ordinaire du mercure des philosophes. Curieusement, l’anagramme d´« énergie noire » est « reine ignorée », ce qui nous rappelle la parabole du vers 1:5 du poème biblique du cantique des cantiques, probablement né des amours entre le Roi Salomon et la Reine de Saba : « je suis noire, mais je suis belle (…) ».

 

Au XIIème siècle, dans son ouvrage Livre secret traitant de l’art caché et de La Pierre Philosophale, l’alchimiste Artéphius nous présentait l’eau des sages de cette façon : « Ô combien est précieuse et magnifique cette eau ! Car sans elle l’œuvre ne se pourrait parfaite : aussi est-elle nommée le vaisseau de la nature, le ventre, la matrice, le réceptacle de la teinture, la terre et sa nourrice, elle est la fontaine dans laquelle se lavent le Roy et la Reine, et la mère qu’il faut mettre et sceller sur le ventre de son enfant qui est le soleil ». Commencez-vous à comprendre comment les cabalistes brouillèrent délibérément les pistes remontant à l’océan primordial par le maniement d’un champ lexical volontairement alambiqué, afin de définir une chose unique, soit, en l’occurrence, l’unicité de la matière – la materia prima ?

 

Prima Materia au Phra That Lampang Luang Temple – Thailande

Dans le Corpus Herméticum, le vers 16 de l’extrait d’un discours d’Hermès à Tat affirme que : « tout ce qui existe est en mouvement ; le non-être seul est immobile ». L’unité, état préliminaire à la manifestation divine, pourrait alors s’imaginer comme de l’énergie sous forme d’ondes stationnaires, et lorsque cette énergie est vectorisée, le tout se met en mouvement pour créer l’espace, le temps et, par conséquent, la matière. La matrice universelle naît de la rupture de l’équilibre spatiale de l’unité : cette première impulsion est la Force forte de toutes forces, son Spiritus Mundi et son Saint-Esprit. C’est le passage de l’Ain Soph à l’Ain Soph Aur dans l’arbre de vie de la kabbale hébraïque.

 

Un cabaliste chevronné décomposerait le mot « saint » en 3 parties, soit « s », « ain » et « t ». Le « t » muet est le tracé d’une croix, elle exprime le centre. « Ain » est le principe qui précède la matière, qui définit l’« abîme » et « la non-existence » en hébreu et s’entend « un », chiffre de l´unité en français, et « s » est la lettre de la manifestation, parce qu’elle ondule comme la représentation graphique d’une pulsation. En d’autres termes, le saint est une personne dont la signature vibratoire résonne avec la première impulsion sortie du centre de l’unité. C’est la raison pour laquelle l’âme d’un saint – son esprit – sera toujours au plus près de la résonnance divine et créatrice de l’Éternel.

 

Les différents états de la matière pourraient alors se comparer aux barreaux d’une échelle, où la Force matricielle se cristallise, ou se condense graduellement, dans des formes plus ou moins régulières. Cet état de fait est appuyé par la meilleure définition que vous pourrez trouver de l’alchimie, celle de Fulcanelli : « l’alchimie est la permutation de la forme par la Lumière, le Feu ou l’Esprit ».

 

La Philosophie (Scala Philosophorum) sur la façade de la cathédrale Notre-Dame - Paris, France

Même si, d’après le témoignage d’Irénée Philalèthe (1628-1665), la transmutation métallique semble être une réalité, faire de l’or pour s’enrichir n’a jamais été la finalité de l’alchimie. Là encore, beaucoup se sont fourvoyés à ne pas comprendre les écritures cabalistiques de nos aînés. Séparer le pur de l’impur, c’est passer d’une matière vile à une matière rectifiée. Plus les arrangements moléculaires deviennent simples et ordonnés, plus la matière et la source matricielle tendent graduellement vers la réunification, vers l’unité. La matière se purifie dans une révolution inverse à la chute luciférienne (« Lucifer » est « le porteur de Lumière » en latin. Il apparaît pour la première fois dans la mythologie grecque, où il est le gardien des chevaux du dieu solaire Apollon), d’où le concept de l’éternel retour Nietzschéen. La fameuse immortalité, sur laquelle les rêveurs fantasment tant, n’est peut-être finalement que la recherche de l’éternité, de l’immobilité absolue, là où l’éternel se repose, au plus près de l’unité. Le royaume de la science des adeptes est donc, par définition, en dehors du temps et de l’espace. En outre, et contrairement à la science moderne qui se préoccupe exclusivement de la matière, l’alchimie, la magie et l’astrologie se polarisent directement sur la matrice et les lois invisibles qui l’animent.

 

-       L’astrologie jauge les variations énergétiques du Feu céleste.

 

-       L’alchimie est la manifestation de ce Feu dans les organismes, a priori, inanimés (les minéraux et les plantes)

 

-       La magie canalise ce Feu directement dans le corps de l’adepte. Ce dernier est un mage, dans le sens noble du terme, a toujours eu une parfaite maîtrise du Feu cosmique, de cette Force qu’il fait transiter à travers les chakras de son corps, afin de la moduler, puis de la rediriger, suivant l’utilisation qu’il voulait en faire au préalable. Soit à des fins positives si l’amour de Dieu remplit son cœur (magie blanche), soit pour semer la division et la destruction s’il le côté obscur (magie noire) l´a définitivement séduit.

Le Saint-Esprit à la chapelle Notre-Dame de la médaille miraculeuse - Paris, France

À l’horizon de nos conclusions, il apparaît que le principe moteur de toute existence la Force sous-jacente à la vie est généré par une matrice qui trouve son origine en dehors des frontières de notre réalité. Une déduction qui semble être partagée par Niels Bohr, prix Nobel de physique, vu qu’il déclarait en 1922 : « toutes les choses que nous appelons réelles sont faites de choses qui ne peuvent pas être considérées comme réelles ».

 

Puisque l’Esprit matriciel est en dehors du champ sensible et mesurable, comment est-il possible de percevoir sa substance dans le monde accessible aux hommes ?

 

 

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À mon sens, si cette Force créatrice est la cause d’effets tangibles, sa signature doit obligatoirement être observable dans la nature. Il est donc possible d’entrevoir les mécanismes de cette matrice en endossant la mentalité d’un curieux insatiable, c’est-à-dire en ouvrant grand les yeux. Dans cette volonté, la spécialisation dans un domaine ou dans un autre serait une grave erreur, le Philosophe de la nature doit ouvrir le champ des possibles à tous les domaines scientifiques, de l’astronomie à la minéralogie, soit, en d’autres termes, à tous les phénomènes visibles entre le ciel et la terre. L’empreinte de la Force doit être présente partout, et comme le suggère la table d’émeraude, dans l’infiniment grand comme dans l’infiniment petit. Le travail consiste à relever ses traces puis à trouver les analogies qui les lient.

 

C’est en œuvrant à cette tâche que le mathématicien Léonard Fibonacci remarqua au XIIIème siècle de l’ère chrétienne qu’une suite arithmétique était liée à la génération dans le monde biologique.  Dans la progression de cette suite, chaque nouveau nombre est la somme des deux autres qui le précédent, soit 0, 1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21, 34, 55, 89, 144… et ainsi de suite. Plus les nombres deviennent élevés, plus le rapport entre un nombre et celui qui le précède tend vers une constante mathématique d’une valeur de 1,618. Ce rapport de proportion était défini par le père de la géométrie grecque, Euclide, comme le partage d’un segment entre extrême et moyenne raison. Ce rapport, dans lequel la phyllotaxie du monde végétal est sans doute l’exemple le plus explicite, se répète invariablement dans toutes les créations de la nature.

 

Phyllotaxis, cactus au jardin botanique de la Reine Sirikit - Chiang-Mai, Thailande

On observe ainsi des arrangements spiralés de cette matrice numérique dans les fleurs, le chou romanesco et la pomme de pin, mais aussi dans la coquille des nautiles et des gastéropodes. Ces analogies sont tout à fait stupéfiantes parce qu’elles ne se limitent pas à ces quelques exemples, elles trouvent un écho universel dans les 3 règnes du monde vivant : le minéral, le végétal et l´animal. La nature fait de la géométrie, automatiquement, sans équerre ni compas. La nature n’a pas besoin de plan, elle est le plan. Son architecture, surtout lorsqu’elle s’exprime de manière hélicoïdale (« hélicoïdale » et « hélice » ont la même racine étymologique qu’Hélios, le dieu solaire des Grecs) et logarithmique, est tout simplement éblouissante. Je ne comprendrais jamais pourquoi la plupart d’entre nous restent encore stoïques devant tant de beauté et d’élégance ? N’ont-ils pas d’yeux pour voir ?

 

De nos jours, le rapport égal à 1,618 est plus connu sous l’appellation du « nombre d’or ».  Il fut popularisé par Matila Ghyka au XXème siècle et résulte d’un croisement entre la sémantique et la mystique. L’étymologie du mot « or » vient d´« aor », « aour », « aur » ou « our » dans les langues sémitiques et se traduit par « la Lumière ». Lorsqu’on se souvient du prologue de Saint-Jean où il est écrit : « le Verbe était dieu (…) Le Verbe était la vraie Lumière », la corrélation entre Dieu, le Verbe, la Lumière et le nombre d’or devient plus qu’évidente pour un des modes de pensée chez les mages : le raisonnement synonymique. Si vous cherchiez une preuve concrète de l’existence de Dieu, le nombre d’or donnerait à votre argumentation une dimension factuelle qu’il serait difficile de réfuter. D’autant plus que le symbole grec du nombre d’or : Φ, définissait chez les premiers adorateurs du Christ « la Force de Dieu », « la Volonté » (« le Telesme » de la table d’émeraude) ou le principe de concentration de l’Esprit dans la matière.

 

La signature de Φ se manifeste aussi dans l’anatomie humaine. Parmi la multitude d’exemples que nous pourrions citer, le cas du nombril est le plus significatif. En effet, sachant que le mot « nombril » est l’homologue phonétique de « nombreel », les cabalistes le décomposeraient en « nombre » et « el » pour en trouver la substantifique moelle. Comme el est le nom de Dieu donné par les Sémites de l’Antiquité, ce point, si spécial au regard de l’homme de Vitruve, est la révélation physique de la signature divine dans les proportions du corps humain. D’une part, c’est à partir de là que l’énergie nourricière de la mère nous fut insufflée, et d’autre part, et c’est en cela qu’il nous intéresse ici, il divise, en moyenne, la distance entre les pieds et la tête par le rapport du nombre d’or. Le vers 1:27 de la genèse qui déclare que « l’homme a été bâti à l’image de Dieu » n’est donc pas une parabole, il doit être compris de manière littérale, au premier degré.

 

Le dictionnaire Larousse nous explique que : « Φ est la 21ème lettre de l'alphabet grec (21=3x7), correspondant, en grec ancien, à un « p » aspiré et, en grec moderne, à un « f ». Il est transposé par « ph » dans les mots français issus du grec ». La première syllabe des mots « Philosophie », « physique », « phyllotaxie », « firmament », « Force » et « Feu » souligne le rapport intime que ces mots entretiennent avec le nombre d’or. L’étymologie est une science à manier avec le plus grand sérieux, parce que, comme vous avez pu vous en rendre compte précédemment, les clefs d’investigations qu’offre cet outil sont inégalables.

 

Vitruvian Man - Léonard de Vinci

Devant toutes ces sympathies, il me semble peu présomptueux d’affirmer que Φ, véritable pivot tourbillonnant de l’harmonie universelle (à entendre « uni vers el » ou « uni ver sel », soit « sel vert uni » pour une lecture de droite à gauche), est l’empreinte organique d’une matrice créatrice, dont la structure est assujettie aux lois de la géométrie et de l’arithmétique. Platon l’avait très bien compris puisqu’il déclara : « Dieu, toujours, fait de la géométrie » et « la géométrie attire l'âme vers la vérité, et forme l'Esprit Philosophique, en forçant l'âme à porter en haut ses regards, au lieu de les abaisser ».

 

Pour leur part, les historiens racontent que le nombre d’or fut baptisé « phi » afin d´honorer le sculpteur Phidias (480-430 av. JC), célèbre pour avoir participé à la construction du Panthéon d’Athènes, où le rapport si précieux est exalté dans les proportions de la façade. Devons-nous être estomaqué par le fait que le nombre d’or était déjà utilisé cinq siècles avant l’ère chrétienne chez les architectes grecs, mais également, d’après les travaux de René Adolphe Schwaller de Lubicz (1887-1961), chez leurs confrères Égyptiens ? Absolument pas, car tous les Artistes, dignes de cette majuscule, ont toujours essayer de faire résonner leurs œuvres avec cette signature si particulière. Dans leur désir de singer la nature (à entendre « saint G », où G est une présentation graphique de la spirale), ils attribuèrent à  Φ  le canon ultime de la beauté. À chaque fois que Φ est utilisé, c’est un hommage syncrétique à la nature et au créateur qui est célébré. Depuis les grandioses pyramides du plateau de Gizeh jusqu’aux peintures abstraites de Kandinsky, Φ a toujours été l’apanage du génie Artistique et la marque d’une relation symbiotique avec l’univers. Cette forme d’expression est assurément née d’une nécessité, celle de révéler et de glorifier dans le monde matériel l’intelligence invisible de la création divine.

 

 

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N’en déplaise à nos contemporains, l’Art d’avant le XXème siècle n’avait rien en commun avec les ‘‘œuvres’’ d´aujourd´hui. Le mot « art » est devenu, malgré lui, un terme fourre-tout dans lequel n’importe quelle création plastique peut trouver sa place. Il suffit de fréquenter les galléries pour prendre conscience que l’‘‘art’’ est devenu une mascarade intellectuelle et une pollution visuelle sur laquelle des gens mal intentionnés ou des charlatans essayent de faire leur fortune. En 1973, Jean Phaure décrivait déjà ce courant avec l’objectivité qu’il méritait : « l'art moderne est une magie noire, parfois au sens le plus opératif du terme, et a pour fonction eschatologique, comme la psychanalyse, de replacer dans le champ de notre conscience notre infra-psychisme peuplé de tous les résidus psychiques et démoniaques qui avaient dans les phases précédentes du Cycle été contenus dans ces caves par l'art sacré, les religions et la connaissance initiatique ». Nul besoin de s’affranchir d’un doctorat en histoire de l’art pour s’apercevoir que la créativité est, en comparaison avec les réalisations de notre passé, la victime d’un processus de destruction commandité. En effet, comment peut-on mettre sur le même piédestal les tableaux de Jackson Pollock (1912-1956) avec ceux de Michel-Ange (1475-1564), de Raphaël (1483-1520) ou de Botticelli (1445-1410) ? Malheureusement pour notre éveil et notre bien-être, cette forme imposée de terrorisme intellectuel ne se limite pas aux frontières de l’art, mais pourri tous les piliers sur lesquels reposent l’affranchissement d’une société saine et équilibrée.

 

À cela, il faut ajouter que la créativité d’une personne ne fait pas obligatoirement d’elle un Artiste. Les maîtres sont formels et sont toujours là pour en témoigner ; on ne devient pas Artiste du jour au lendemain, perfectionner son Art demande beaucoup de travail et une ascèse spirituelle de tous les instants. Sans être passé par la purification et la rectification de son âme – faire preuve de sainteté – il est pratiquement impossible de recevoir l’inspiration divine, de résonner avec la Force et ne faire qu’un avec la grâce de sa quintessence pour produire quoique ce soit. Léonard de Vinci (1452-1519) enfonce le clou un peu plus profond dans la chair des prétendants, bien souvent sans talent, en suggérant que la qualification d´Artiste se mérite effectivement en haut lieu : « l'artiste, sans cesse occupé à contempler la création, rend au créateur un perpétuel hommage. Notre étude si patiente de l'œuvre divine, demande plus d'efforts que de chanter matines ». L’Art induit donc une relation fusionnelle avec le sacré, et en ce sens, il se doit d’être un reflet de l’espace matriciel. Afin d’y parvenir, chaque détail doit être mûrement réfléchi, mesuré et pesé. Absolument aucun élément ne peut être le fruit du hasard. Et comme le soulignait Jean Phaure, ce type de travail est aux antipodes de l’art spontané. Les proportions arithmétiques et les tracés géométriques régulateurs organisent une composition harmonieuse et résonnante. Le choix des couleurs s’accorde au symbolisme des figures et des volumes. Les archétypes mythologiques et religieux se mêlent aux références cabalistiques en tout genre. Et bien sûr, ne jamais oublier de se souvenir du caractère hermétique de la forme, c’est-à-dire, comme le stipule l’adage de la tradition : « montrer, signifier, et cacher… Tout à la fois ». La divinité ne montre pas… elle signifie, elle suggère !

 

Façade symbolique du 63 rue Reaumur - Paris, France

Dans le magma supérieurement de l’esprit créatif, et puisqu’elle est souvent considérée comme la pierre angulaire de tous les Arts, l’architecture occupe une place privilégiée dans la relation qu’elle entretient avec les éléments naturels. La synchronisation entre les propriétés d’un temple et les cycles temporels a toujours été un des secrets les mieux gardés par les hautes sphères initiatiques des castes sacerdotales. C’est dans la résolution de la quadrature du cercle que la bâtisse est élevée vers le sacré, et fait ainsi valoir sa fonction opérative en conjuguant les énergies célestes et terrestres en son sein. Lorsqu’un temple est construit dans les règles de l’Art, sa forme géométrique donne à l’espace son orientation, et comme une aiguille le ferait sur un cadran solaire, elle donne aussi la mesure du temps. En cela, la connaissance scientifique des cycles cosmiques élève l’Architecte au rang des initiés, et dans cette finalité, il ne peut pas en être autrement.

 

Malheureusement pour l´Humanité, peu de personnes comprennent véritablement les systèmes de codage employés dans les œuvres d’Art de nos ancêtres. Et même si leurs tentatives sont couronnées de succès, la doxa universitaire les labellise automatiquement comme de doux illuminés. Cette étiquette justifie d’autant plus l’approche des Arts par le prisme de la psychologie chez les modernes, car il faut bien tenter d’apporter une explication, même fantasmagorique, sur les allégories, les métaphores et les paraboles de la culture traditionnelle de nos maîtres. Quoiqu’il en soit, nous allons essayer de décrypter quelques œuvres pour ce qu’elles furent réellement tout au long de cette thèse. Dans cette optique, la meilleure manière de s’y atteler est d’utiliser les outils qui nous ont été légués, et dans cette virtuosité, la mesure des Arts Libéraux sont incontournables.

 

 

     Les Arts Libéraux sont au nombre de 7 et se divisent en deux voies : le Trivium et le Quadrivium.

 

-       Le Trivium se définit par l’expression du Verbe (la Lumière) par les mots. Il se divise en 3 matières : la grammaire, la dialectique et la rhétorique.

-       Le Quadrivium se rapporte aux pouvoirs des nombres, soit l’expression du Verbe par les mathématiques et se divise en 4 matières : l’arithmétique, la musique, la géométrie et l’astronomie.

 

     Aux côtés de ces 7 voies, un axiome linguistique issu de la cabale hermétique, appelé la langue des oiseaux, vient compléter la palette déjà bien fournie de l’Artiste. Cet argot, qualifié de solaire, dont les principes sont sanctifiés dans l’apparence de son initiateur à la tête d’ibis, Djéhuty-Thot, se base exclusivement sur l’assonance des mots, sans jamais prendre en compte les règles de l’orthographe et de la grammaire. Richard Khaitzine (1947-2013) – l’ami qu’on aurait aimé avoir près de soi – en parlait de la sorte : « Cette langue des oiseaux, c’est celle révélée par Jésus aux apôtres par l’intermédiaire de son Esprit, l’Esprit Saint. Souvenez-vous de cet épisode tiré des Évangiles. C’est la période de la Pentecôte et les apôtres reçoivent le Don des langues sous forme de langues de Feu, le Feu étant un synonyme d’Esprit. Mais dans ce cas, vous demandez-vous, pourquoi l’appelle-t-on la langue des oiseaux ? Parce que l’Esprit Saint, de nature volatile, est fréquemment symbolisé par un volatile, un oiseau, souvent une colombe. ».  

 

    Dans le but de colmater les faiblesses du langage et de fournir les dernières clefs indispensables à l’ouverture du royaume fermé des mages, le disciple d’Hermès utilisera un autre vecteur de transmission, encore très mal compris de nos jours : le symbole.

 

 

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Le symbole joue un rôle plus que singulier : stimulant uniquement la psyché, ce signe figuratif relie l’homme à son imagination et connecte sa pensée à des sphères indescriptibles par les mots. En effet, le son d’un mot est une vibration que l’ouïe peut entendre et dans cet état, il possède déjà une manifestation matérielle. Le mot coupe maladroitement la dynamique de l’idée qu’il souhaite définir ; c’est précisément pour remédier à cette faiblesse que l’emploi du symbole démontre toute son efficacité. Par la création d’un pont entre le créé et l’incréé, ce mode de lecture donne la possibilité au mental de traverser le miroir des apparences, d’entrevoir l’envers du décor, en dehors de l’espace et du temps. Ferdinand Brunetière (1849-1849) précisait : « Le symbole est image, il est pensé… Il nous fait saisir entre le monde et nous quelques-unes de ces affinités secrètes et de ces lois obscures qui peuvent bien passer la portée de la science, mais qui n’en sont pas pour cela moins certaines, tout symbole est en ce sens une espèce de révélation. ». 

 

Si une image vaut mille mots comme le suggère l’antique sagesse taoïste, un symbole vaudrait mille images.

 

Nous ne pouvions pas continuer cette introduction sans honorer le verbe aiguisé de René Guénon (1886-1951), parce que sa vie et son œuvre cristallisent à elles seules une spiritualité sans concession. Il écrivait dans son livre Symboles de la Science Sacrée : « Nous avons déjà eu I’ occasion de parler de l'importance de la forme symbolique dans la transmission des enseignements doctrinaux d'ordre traditionnel (…) Pourquoi rencontre-t-on tant d'hostilité plus ou moins avouée à l’égard du symbolisme ? Assurément, parce qu'il y a là un mode d'expression qui est devenu entièrement étranger à la mentalité moderne, et parce que l'homme est naturellement porté à se méfier de ce qu'il ne comprend pas. Le symbolisme est le moyen le mieux adapté à l'enseignement des vérités d'ordre supérieur, religieuses et métaphysiques, c’est-à-dire de tout ce que repousse ou néglige l'esprit moderne ; il est tout le contraire de ce qui convient au rationalisme, et tous ses adversaires se comportent, certains sans le savoir, en véritables rationalistes (…) C'est ainsi que les vérités les plus hautes, qui ne seraient aucunement communicables ou transmissibles par tout autre moyen, le deviennent jusqu’à un certain point lorsqu'elles sont, si l'on peut dire, incorporées dans des symboles qui les dissimuleront sans doute pour beaucoup, mais qui les manifesteront dans tout leur éclat aux yeux de ceux qui savent voir (…) Si le Verbe est pensé à l'intérieur et parole à l'extérieur, si le monde est l'effet de la Parole divine proférée à l'origine des temps, la nature entière peut être prise comme un symbole de la réalité surnaturelle. Tout ce qui est, sous quelque mode que ce soit, ayant son principe dans l'intellect divin, traduit ou représente ce principe à sa manière et selon son ordre d'existence ; et, ainsi, d'un ordre à l'autre, toutes choses s'enchaînent et se correspondent pour concourir à l'harmonie universelle et totale, qui est comme un reflet de la trinité divine elle-même. Cette correspondance est le véritable fondement du symbolisme et c'est pourquoi les lois d'un domaine inférieur peuvent toujours être prises pour symboliser les réalités d'un ordre supérieur, où elles ont leur raison profonde, qui est à la fois leur principe et leur fin. »

 

Dans sa figuration vulgaire, le saint bol prend la forme d’une coupe ou d’un calice, lors du rituel magique de la messe, au moment du sacrement eucharistique, il recueille le sang Christique – liquide métaphorique du fluide cosmique. L’évocation d’une substance aqueuse rappelle inévitablement la façon dont les hermétistes associaient le comportement de l’Esprit mercuriel avec un océan primordial. En suivant le raisonnement analogique, le symbole remplit exactement la même fonction que son homophone, révélé par la langue des oiseaux, à savoir que le saint bol est le réceptacle et le révélateur dans le monde tangible, des principes indicibles de la matrice universelle.

 

Le Saint Graal, église Saint-Eustache - Paris, France

Je conçois que pour la plupart d’entre vous l’hermétisme parait bien mystérieux, voire même chimérique, d’autant plus que ce courant philosophique propose des perspectives historiques et scientifiques que la pensée dominante qualifie d’irrationnelles d’emblée. J’entends déjà la rhétorique des plus endoctrinés « comment l’homme de l’antiquité pouvait-il connaître ce que la science moderne commence à peine à entrevoir ?  Ne sommes-nous pas supérieurs à ces bouseux du passé » ? 

 

Eh oui, et quoi qu’il en pense, l’Homme d’aujourd’hui n’a pas conscience de son ignorance. Mais, il ne faudrait surtout pas lui jeter la pierre, car depuis les bancs de l’école maternelle jusqu’aux amphithéâtres des universités, il est poussé à répéter naïvement ce qu’on lui apprend. Et vu que la majorité a grandi dans le même système, il est logique que les gens “normaux” soient tous formatés de la même manière. À sa décharge, il faut reconnaître que la quête du savoir, de l’enrichissement intellectuel et culturel est une activité qui n’est plus valorisée. Absolument rien n’est organisé pour nous encourager à lire les ouvrages des bibliothèques et à multiplier nos connaissances générales. Ce triste constat est l’inexorable conséquence d’une éducation régalienne constamment nivelée vers le bas, de la propagation et la normalisation de la culture de l’artificiel (au détriment du naturel), de la promotion et la standardisation de la médiocrité par les médias dominants, de l’abrutissement et la manipulation hypnotique des masses par la télévision. Et surtout, du déni toujours croissant d’un royaume spirituel transcendant et salvateur. C’est un fait, on ne compte désormais plus les amis qui sont très fiers de leur agnosticisme… Quelle tristesse !

 

À l’aube du XXIème siècle, l’effondrement de la pensée est à l’image de la décadence, de la dégénérescence et de la déchéance de notre civilisation. Cette sclérose intellectuelle est devenue un obstacle de plus en plus épineux à franchir pour ceux qui prennent les chemins de l’évolution spirituelle, de l’émancipation personnelle ou la voie gnostique. Le conditionnement social est tellement puissant que les intrépides, ceux qui osent encore réfléchir par eux-mêmes, sont souvent mis sur le banc des infréquentables et sont malheureusement sujets à la moquerie. Il faut faire preuve d’une sacrée force de caractère pour se libérer de la vindicte populaire et du jugement d’autrui. Ce travail demande une profonde et délicate introspection sur soi-même, très peu de personne sont prêtes à souffrir pour dissoudre les illusions du quotidien afin de s’en libérer complètement. Être capable de vider son calice de toutes les scories, pour ensuite le remplir à nouveau d’une lumière plus radieuse, est un accomplissement qui se mérite sur la durée.

 

Fontaine du "Vert-bois" - Paris, France

La prudence, la tempérance, la force d’âme et la justice sont les vertus cardinales nécessaires à l’ouverture du royaume de Dieu. Si la persévérance est notre loyal serviteur sur le chemin de la vérité, l’essence verticale du Feu solaire illuminera nos cœurs et le travail entrepris sera toujours couronné de succès. Sans cette quête spirituelle, je n’aurais probablement jamais trouvé le courage de partager avec vous ces quelques lignes, parce que les courants métaphysiques sur lesquels les vents de cette démonstration vont nous porter sont ridiculisés par l’orthodoxie du système éducatif et très mal compris par la culture globalisée d’aujourd’hui. Cette thèse n’aurait jamais pu devenir une pierre originale portée à l’édifice, si nos préjugés habituels n’avaient pas été surpassés, si les terres de l’inexploré n’avaient pas été repoussées et si notre réalité n’avait pas été transcendée.

 

Pour ce faire, l’étude scientifique et syncrétique des principaux symboles religieux est l’axe majeur – son axis mundi – son autour duquel cette thèse va évoluer. Tel un Jason moderne en quête de la Toison d’or, guidé par la clarté de l’étoile polaire, nous naviguerons sur les océans vibratoires les plus mystiques et les moins inimaginables. Je vous invite donc à explorer la science sacrée à bord de mon vaisseau, de lever le voile sur la nature naturante du Saint-Esprit et de larguer les amarres vers les mystères les plus absolus de tous : la création et l’origine de l’espace-temps.

 

 

Ludovic Nicolas

 

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